19 mars, 2009

Sous le signe de l'abondance - Chapitre 12 — Qu'est-ce qu'un dividende?

Chapitre 12 — Qu'est-ce qu'un dividende?

  Lorsqu'une compagnie réalise des surplus de ses opérations, après avoir déduit les sommes nécessaires pour rencontrer ses obligations, alimenter son fonds de dépréciation et d'amortissement, elle répartit le reste entre ses actionnaires. Si, par exemple, le capital-actions est de 500 000 $ et le bénéfice net distribuable de 30 000 $, elle déclarera un dividende de 6 pour cent, car 30 000 $ représentent les six centièmes de 600 000 $. L'homme qui possède dans cette compagnie dix actions de 100 $ retirera un dividende de dix fois 6 $, soit 60 $; celui qui aurait vingt actions retirerait un dividende de 120 $.

Si le bénéfice net n'est que de 10 000 $, le dividende ne sera que de 2 pour cent. Et s'il ne reste aucun bénéfice net après toutes les allocations nécessaires, il n'y aura pas non plus de dividende.

Le dividende suppose donc des surplus.

L'octroi de dividendes aux actionnaires ne les désintéresse pas de leur compagnie. Au contraire. Si ces actionnaires sont en même temps employés, si, par leur travail, ils contribuent à la production des articles fabriqués dans les usines de la compagnie, vont-ils devenir paresseux, se relâcher parce qu'ils touchent des dividendes en plus de leurs salaires? Ce serait idiot de le penser. Ils savent que seule une augmentation du volume ou de la qualité de la production peut signifier plus de dividende. Ils apporteront sans doute double application à leur ouvrage.

Qui a droit aux dividendes? Les actionnaires, ceux qui ont placé des fonds dans l'entreprise. S'il s'agit d'une entreprise en coopérative, les producteurs eux-mêmes, après avoir reçu leurs salaires, ont aussi droit à leur dividende, à leur part des surplus, si surplus il y a, parce que ces producteurs sont les actionnaires.

Et d'où viennent les dividendes encore une fois? Ils viennent des surplus; leur chiffre est déterminé par le chiffre des surplus. Les dividendes ne sont pas des argents pris à certains actionnaires pour passer aux autres. Les dividendes ne créent pas de dette pour la compagnie, car celle-ci ne les distribue qu'à même ses surplus.

Ces petites notions ne sont neuves pour personne, mais il peut être utile de les rappeler quand on traite du «dividende national» ou dividende du Crédit Social. Il est si commun d'entendre de la part de critiques qui n'ont peut-être pas égratigné le sujet: «Ces dividendes, c'est du bien-être social... Ça va faire des paresseux... Personne ne va plus vouloir travailler, etc.»

Bien entendu, ces messieurs font mentalement des exceptions pour eux-mêmes. Ils n'ont jamais cru un moment que s'il leur venait un dividende de quelque 700 ou même 800 dollars par mois, ils s'étendraient sur une chaise-longue, remerciant le Seigneur de leur avoir mis dans la bouche leur pain quotidien. Non, pas eux, parce qu'ils ont un moral splendide, une intelligence développée et seront touj ours prêts à travailler pour élever leur niveau de vie... mais c'est aux autres qu'ils pensent, à la «foule», aux publicains sans vertu ou sans esprit qu'ils ne daignent pas regarder, encore moins instruire. Pour ces purs, la foule est faite pour arroser la terre de ses sueurs et de ses larmes... et vivre dans les privations perpétuelles.

Pourtant, chaque personne aujourd'hui a droit à l'héritage légué par les générations précédentes. Lorsqu'une personne meurt et laisse des biens à ses héritiers, se demande-t-on si ces héritiers sont des justes ou des pécheurs? Leur refuse-t-on leur héritage, sous prétexte qu'ils ne sauront pas l'employer utilement?

Il convient de faire ici quelques considérations sur cette notion d'héritage commun dont tous les vivants doivent être bénéficiaires.

 Par Louis Évan

Sous le signe de l'abondance - Chapitre 11 — Droit de chacun au minimum vital

Chapitre 11 — Droit de chacun au minimum vital

 

Fin de l'organisme économique

La production de guerre canadienne a démontré à l'évidence ce que peut faire le Canada lorsqu'il décide de mettre de côté les obstacles artificiels, les obstacles financiers.

Après une telle expérience des capacités productives du pays, sera-t-il encore permis que des milliers de familles canadiennes soient condamnées à des privations abjectes tant que le pays n,a pas été entraîné dans une guerre totale?

Ou bien, va-t-on exiger enfin un régime économique et social qui accomplisse sa fin? Un régime qui remplisse les conditions définies dans cette phrase du grand pape Pie XI:

«L'organisme économique et social sera sainement constitué et atteindra sa fin, alors seulement qu'il procurera à tous et à chacun de ses membres tous les biens que les ressources de la nature et de l'industrie, ainsi que l'organisation vraiment sociale de la vie économique, ont le moyen de leur procurer».

A tous et à chacun

Le régime économique doit procurer, dit le Pape. Procurer, pas seulement promettre, pas seulement exposer dans des vitrines.

Procurer à qui? A tous. A tous? Oui, et le Pape appuie: et à chacun. A tous et à chacun — cela n'admet aucune exception.

Procurer quoi? Tous les biens que les ressources de la nature et de l'industrie permettent de procurer. Au pôle nord, on ne pourrait rien procurer. Mais au Canada? Au Canada où la production s'empile en temps normal plue vite qu'on en peut disposer, la difficulté n'existe pas.

Tous les biens. Ne pas en mettre sous clef. Ne pas brûler des fruits ni jeter le lait aux égouts sous les yeux d'hommes, de femmes et d'enfants qui souffrent de la faim.

Tous les biens, à tous et à chacun. A tous et à chacun: chacun doit donc en recevoir une part. Mais quelle part? Quelle quantité de biens l'organisme économique et social doit-il procurer à tous et à chacun? Le Pape le dit:

«Ces biens doivent être assez abondants pour satisfaire aux besoins d'une honnête subsistance».

Une honnête subsistance

Satisfaire aux besoins d'une honnête subsistance, pour tous et pour chacun. Mais voilà justement ce que réclament ceux qui exigent la garantie sociale d'un minimum vital à chaque citoyen, du berceau à la tombe. L'honnête subsistance, en effet, exige au moins:

Une suffisance de nourriture; une suffisance de vêtements; une suffisance de logement; une suffisance de protection pour la santé; une suffisance de loisirs pour reposer le corps et prendre soin de l'esprit.

Et pour qu'elle soit honnête, cette subsistance, faudrait-il lui sacrifier la liberté, la liberté qui est le plus bel apanage de la personne humaine? Pour qu'il soit garanti, ce minimum qui constitue une honnête subsistance, faut-il d'abord qu'on s'entretue sur des champs de bataille? Ou, pour que les biens de la nature et de l'industrie atteignent les familles, faut-il, en temps de paix, qu'une proportion grandissante des citoyens soit embauchée par l'Etat? Faut-il qu'à mesure que la science place l'énergie solaire et les machines au service de l'homme, l'homme soit jeté dans les mailles du socialisme d'Etat?

Une subsistance conditionnée par de telles servitudes cesserait d'être honnête. L'honnête subsistance ne peut pas signifier la subsistance de l'esclave devenu la chose de son maîitre, même si ce maître s'appelle l'Etat. L'honnête susbsistance — objectif papalement tracé de tout organisme économique et social sainement constitué.

Droit inhérent à la vie en société

Mais, quand bien même le saint Père n'aurait jamais défini cet objectif, est-ce que la simple raison ne nous le désigne pas? Chaque fois que des hommes s'associent, n'est-ce pas pour obtenir plus facilement, par leur association, ce que chaque associé désire mais ne peut que plus difficilement obtenir seul? Cela est vrai de n'importe quelle entreprise, et cela est vrai de la grande association qui s'appelle société. Aussi, dès que, dans la société, commencent les frustrations pour des membres, dès que des personnes, de plus en plus nombreuses, cessent de retirer les avantages devant résulter de la vie en société, les forces de dislocation, les forces de l'anarchie commencent.

Droit de nature

Puis, à qui fera-t-on croire que les aspirations communes à tous les hommes, les aspirations qu'on retrouve chez chaque individu, puissent être contraires à l'ordre? C'est le Créateur même qui a donné à l'homme sa nature. Si chaque personne réclame un minimum de nourriture, un minimum de protection par le vêtement et le logement, c'est parce que sa nature est ainsi faite qu'elle ne peut vivre sans ce minimum.

Droit de naissance

Chaque personne qui vient en ce monde a le droit à la vie. Que le nouveau-né fasse son entrée en ce monde dans le palais d'un monarque ou dans la plus pauvre cabane du plus pauvre des Canadiens, il a un égal droit de vivre. Il n'est pas question ici du niveau de vie, mais du minimum nécessaire pour tenir une personne en vie.

Devant le droit à la vie, donc devant le minimum nocessaire à la vie, tous les membres de la société, tous les individus de l'espèce humaine sont égaux.

Le droit à la vie, le droit aux moyens de vivre, est un droit de naissance. Un droit qui ne doit pas diminuer le droit des autres, qui ne devrait même pas abaisser le niveau de vie des autres dans un pays qui regorge de tout ce qu'il faut et où les biens se perdent faute de preneur La venue d'un nouvel enfant dans une famille ne devrait donc pas avoir pour effet de pratiquer une brèche dans l'honnête subsistance des autres membres de la famille.

Pourtant, même avec toutes les facilités de production et de transport modernes, la société actuelle garantit-elle à chacun de ses membres l'assurance d'une honnête subsistance? Où est, dans notre code légal, même dans la catholique province de Québec, où est le texte de loi qui assure à chaque personne naissant en cette province le minimum nécessaire à une honnête subsistance? On trouvera bien des textes de loi pour empêcher de faire souffrir inutilement des animaux. Mais pas une ligne pour empêcher une petite poignée d'hommes d'endiguer la distribution de l'abondance. L'objectif papal d'une honnête subsistance pour tous et chacun est tristement ignoré.

Droit d'héritage

Quand même tous les biens de ce monde seraient sous le régime de la propriété privée, cela n'excluerait pas le droit de chacun, même des non-possédants, à la vie, et par conséquent au minimum de choses nécessaires à la vie. La propriété, même privée, a une fonction sociale à remplir. La propriété d'un bien confère au propriétaire une sorte de gérance de son bien en fonction du bien commun.

Mais il existe aussi nombre de biens, nombre de facteurs de production qui restent propriété commune, dont tous les membres de la société sont copropriétaires au même degré.

De ces biens, les uns sont visibles, concrets. Telles, dans notre pays, les forêts de la couronne; et les puissantes chutes d'eau alimentées gratuitement par la force pompante du soleil et la configuration des montagnes. Ces biens-là, à qui appartiennent-ils? Ne constituent-ils pas un véritable héritage commun, sur les bénéfices duquel tous ont droit?

Puis, il y a les biens moins visibles, et non moins réels, non moins producteurs, tels les développements de la science appliquée au cours des siècles. Nous croyons même que la science appliquée devient un facteur prépondérant dans l'abondante production moderne. Qui donc soutiendra que la science est un bien privé? Il ne s'agit pas d'ignorer les efforts personnels de ceux qui s'instruisent; mais même l'instruction acquise par une personne lui impose une obligation vis-à-vis de la société, puisque, pour cette acquisition, elle a bénéficié de tout l'agencement social qui l'a permise.

Puis, il y a bien, aussi, l'organisation sociale elle-méme qui, considérée au simple point de vue production de biens matériels, est un facteur très important. Si chaque membre de la société devait vivre isolément et voir entièrement à sa propre subsistance, la production de chacun, la production totale serait immensément moindre qu'elle l'est sous le régime de la division des occupations, greffée sur l'organisation sociale. L'existence d'une société organisée augmente donc considérablement la capacité de production de l'ensemble. Cette existence d'une société organisée est-elle un bien privé, ou un bien commun dont tous doivent profiter?

Outre le droit naturel à la vie, c'est donc aussi à titre d'héritier des générations passées, à titre de copropriétaire d'un bien commun, de beaucoup de biens communs, que chaque être humain, membre d'une société constituée, a droit à une certaine quantité de biens.

Le dividende national

Mais comment, de nos jours, se fait valoir un droit aux biens offerts par le mécanisme producteur? Comment, sinon par le billet de papier ou le compte créditeur transmis du preneur au vendeur, par l'argent? Règlement qui a l'avantage d'assouplir le choix des produits et de protéger les parties à la transaction.

Mais pour que ce règlement fonctionne sans priver du droit de vivre aucun des membres de la société, il est nécessaire, dans le monde moderne, que tous et chacun possèdent un minimum de ces titres à la production, un minimum d'argent, sous une forme ou sous une autre.

C'est ce minimum de titres à la production de leur pays, assuré à tous et à chacun des citoyens, que l'école créditiste appelle le dividende national. Dividende, parce qu'il ne représente pas un salaire, la récompense d'un travail personnel mais le droit de l'héritier, le droit du citoyen au revenu d'un capital commun, le droit à l'existence qu'une société bien organisée doit garantir à chacun de ses membres du seul fait de sa naissance.

 Par Louis Évan

Sous le signe de l'abondance - Chapitre 10 — Redressement monétaire

Chapitre 10 — Redressement monétaire

 

Qui doit faire l'argent?

C'est saint Louis, roi de France, qui disait: «Le premier devoir d'un roi est de frapper l'argent lorsqu'il en manque pour la bonne vie économique de ses sujets.»

Il n'est pas du tout nécessaire ni recommandable de supprimer les banques, ni de les nationaliser. Le banquier est un expert en comptabilité et en placements: qu'il continue à recevoir et à faire fructifier les épargnes, prenant sa part équitable de profits. Mais manufacturer l'argent est un acte de souveraineté qui ne doit pas être lié à la banque. Il faut sortir la souveraineté de la banque et la replacer entre les mains de l'Etat.

L'argent de chiffres est une bonne invention moderne, qu'il faut garder. Mais au lieu d'avoir leur origine sous une plume privée, à l'état de dette, les chiffres qui servent d'argent doivent naître sous la plume du souverain, à l'état d'argent serviteur.

Rien donc à bouleverser dans la propriété ni dans les expertises. Pas besoin de supprimer l'argent actuel pour en mettre d'autre à sa place. Il faut seulement que le gouvernement lui-même, au nom de la société, institue un système qui ajoute de l'argent de même nature à celui qui existe déjà, selon les possibilités et les besoins du pays.

A cette fin, le gouvernement doit établir un organisme monétaire, un Office National du Crédit. Les comptables de cet Office, bien que nommés par le gouvernement, ne prendraient point de lui leurs décisions. Ils ne dicteraient rien non plus aux producteurs ou aux consommateurs. Leur fonction consisterait simplement à accorder le mécanisme d'émission et de retrait d'argent au rythme de la richesse produite ou consommée par des producteurs et des consommateurs libres. Un peu comme l'organisme judiciaire: les juges sont nommés par le gouvernement; mais leurs jugements sont basés uniquement sur la loi et sur les faits exposés, deux choses dont ils ne sont ni les auteurs ni les instigateurs.

On doit cesser de souffrir de privations lorsqu'il y a dans le pays tout ce qu'il faut pour placer l'aisance dans tous les foyers. L'argent doit venir d'après la capacité de production du pays et d'après la demande par les consommateurs de biens utiles possibles.

A qui l'argent neuf?

Mais il faut mettre cet argent nouveau dans la circulation. Où et comment?

A qui appartient l'argent nouveau lorsqu'il vient au monde au Canada? Il appartient au Canada et est fait pour les Canadiens. Fruit de l'enrichissement du pays, cet argent n'appartient pas aux comptables de l'Office où il est créé d'un trait de plume. Ni au gouvernement pour qu'il en dispose à son gré: ce serait remplacer une dictature bancaire par une dictature politique.

L'argent nouveau répond au besoin de développement du pays. Ce n'est pas un salaire, mais une injection d'argent dans le public pour faire appel sur du travail, sur des produits qui n'attendent que cela.

On ne peut une minute se représenter que l'argent nouveau appartienne à un individu ou à un groupe privé.

Il n'y a pas d'autre moyen, en toute justice, de mettre cet argent nouveau en circulation qu'en en distribuant une part égale à chaque citoyen. C'est en même temps le meilleur moyen de rendre l'argent effectif, puisque cette distribution le répartit dans tout le pays.

Supposons que le comptable qui agit au nom de la société, constatant le manque d'argent, décide l'émission de 21 milliards de dollars. Cette émission peut être de l'argent de chiffres, simple inscription dans un livre, comme celui du banquier aujourd'hui.

Mais, puisqu'il y a 30 millions de Canadiens et 21 milliards à distribuer, cela fait 700 $ pour chacun. Le comptable va donc inscrire 700 $ dans le compte de chaque citoyen. Ces comptes individuels pourraient très bien être tenus par le bureau de poste, qui dépend du fédéral.

Ce serait un dividende national. Chaque Canadien aurait 700 $ de plus, à son propre crédit, dans un compte établi pour lui à cette fin.

Le dividende à chacun

Chaque fois qu'il faut augmenter l'argent du pays, chaque homme, femme, enfant, vieillard, bébé, aurait ainsi sa part de cette augmentation à l'origine. Ce serait sa part de la nouvelle étape de progrès qui rend de l'argent neuf nécessaire.

Ce n'est pas un salaire pour du travail accompli, c'est un dividende à chacun, pour sa part d'un capital commun. S'il y a des propriétés privées, il y a aussi des biens communs, que tous possèdent au même titre.

Voici un homme qui n'a rien que les guenilles dont il est couvert. Pas un repas devant lui, pas un sou dans sa poche. Je puis lui dire:

«Mon cher, tu crois être pauvre, mais tu es un capitaliste qui possède bien des choses au même titre que moi — et que le premier ministre. Les chutes d'eau de la province, les forêts de la couronne, c'est à toi comme à moi, et ça peut bien te rapporter quelque chose chaque année.

«L'organisation sociale, qui fait qu'on produit cent fois plus et mieux que si on vivait isolément, c'est à toi comme à moi, et ça doit te valoir quelque chose à toi comme à moi.

«La science qui fait se multiplier la production avec presque pas de travail, c'est un héritage transmis et grossi avec les générations; et toi, de ma génération, tu dois en avoir ton bénéfice, au même titre que moi.

«Si tu es pauvre et dénué, mon cher, c'est qu'on t'a volé ta part. Surtout on l'a mise sous clé, ce qui cause le chômage actuel en face de tes besoins.

«C'est le dividende du Crédit Social qui va te rendre ta part, au moins le principal morceau. Une meilleure administration, dégagée des liens du financier et capable de mettre les exploiteurs d'hommes à la raison, te rendra le reste.

«C'est cela aussi qui va reconnaître ton titre de membre de l'espèce humaine, en vertu duquel tu as droit à une part des biens de ce monde, au moins à la part nécessaire pour exercer ton droit de vivre.»

Mais il faut nous étendre un peu plus sur les raisons qui donnent droit à chacun, dans une société bien organisée, à au moins un minimum de biens. Trop de gens qui passent pour grands sociologues n'ont pas encore admis ce droit.

Par Louis Évan

Sous le signe de l'abondance - Chapitre 9 — Le vice monétaire

Chapitre 9 — Le vice monétaire

  La situation se résume à cette chose inconcevable. Tout l'argent qui est en circulation n'y est venu que par la banque. Même l'argent de métal ou de papier ne vient en circulation que s'il est libéré par la banque.

Or la banque ne met l'argent en circulation qu'en le prêtant et en le grevant d'un intérêt. Ce qui veut dire que tout l'argent en circulation est venu de la banque et doit retourner à la banque quelque jour, mais y retourner grossi d'un intérêt.

La banque reste propriétaire de l'argent. Nous n'en sommes que les locataires. S'il y en a qui gardent l'argent plus longtemps ou même toujours, d'autres sont nécessairement incapables de remplir leurs engagements de remboursements.

Multiplicité des banqueroutes de particuliers et de compagnies, hypothèques sur hypothèques, et croissance continuelle des dettes publiques, sont le fruit naturel d'un tel système.

L'intérêt sur l'argent à sa naissance est à la fois illégitime et abaurde, anti-social et anti-arithmétique. Le vice monétaire est donc un vice technique autant qu'un vice social.

A mesure que le pays se développe, en production comme en population, il faut plus d'argent. Or on ne peut avoir d'argent nouveau qu'en s'endettant d'une dette collectivement impayable.

Il reste donc le choix entre arrêter le développement ou s'endetter; entre chômer ou contracter des emprunts impayables. C'est entre ces deux choses-là qu'on se débat justement dans tous les pays.

Aristote, et après lui saint Thomas d'Aquin, écrivent que l'argent ne fait pas de petits. Or le banquier ne met l'argent au monde qu'à condition qu'il fasse des petits. Comme ni le gouvernement ni les particuliers ne font d'argent, personne ne fait les petits réclamés par le banquier. Même légalisé, ce mode d'émission reste vicieux et insultant.

Déchéance et abjection

Cette manière de faire l'argent du pays, en endettant gouvernements et particuliers, établit une véritable dictature sur les gouvernements comme sur les particuliers.

Le gouvernement souverain est devenu un signataire de dettes envers un petit groupe de profiteurs. Le ministre, qui représente trente millions d'hommes, de femmes et d'enfants, signe des dettes impayables. Le banguier, qui représente quelques actionnaires assoiffés de profit, manufacture l'argent du pays.

C'est un aspect frappant de la déchéance du pouvoir dont parle le Pape: les gouvernements sont déchus de leurs nobles fonctions et sont devenus les valets des intérêts privés.

Le gouvernement, au lieu de piloter le Canada, s'est transformé en percepteur d'impôts; et l'item le plus gros de l'emploi des impôts est justement l'intérêt sur la dette publique.

Aussi l'administration consiste-t-elle surtout à taxer les citoyens, et la législation, à placer partout des restrictions à la liberté.

On a des lois pour protéger les remboursements aux faiseurs d'argent. On n'en a pas pour empêcher un être humain de mourir de misère.

Quant aux individus, l'argent rare développe chez eux la mentalité de loups. En face de l'abondance, c'est à qui obtiendra le signe trop rare qui donne droit à l'abondance. D'où, concurrence effrénée, luttes pour le fromage politique, dénonciations, dictatures patronales, chicanes domestiques, etc.

Un petit nombre mange les autres; le grand nombre gémit, plusieurs dans une abjection déshonorante.

Des malades restent sans soins; des enfants reçoivent une nourriture inférieure ou insuffisante; des talents ne peuvent se développer; des jeunes gens ne peuvent se déplacer ni fonder un foyer; des cultivateurs perdent leurs fermes; des industriels font banqueroute; des familles vivotent péniblement — le tout sans autre justification que le manque d'argent.

La plume du banquier impose au public les privations, aux gouvernements la servitude.

 Par Louis Évan

18 mars, 2009

Sous le signe de l’abondance Chapitre 8 — Naissance et mort de l'argent

Chapitre 8 — Naissance et mort de l'argent

 Une naissance gardée mystérieuse

Où naissent les pommes de terre? — Dans le champ du cultivateur.

Où naissent les petits veaux? — Dans l'étable.

Où naissent les prunes? — Sur le prunier.

Tout le monde sait cela.

Mais posez maintenant la même question au sujet de l'argent:

Où naît l'argent? Où est née la piastre de papier que j'ai dans ma poche? Qui est-ce qui l'a mise au monde, pour quelle raison, et à quelles conditions?

Où sont nées les millions et millions de piastres avec lesquelles le gouvernement a financé la guerre, lui qui constatait depuis dix années qu'il n'y avait pas assez de piastres dans le pays pour financer simplement des travaux ordinaires?

Puis, où vont les piastres quand on ne les voit plus? Où sont allées, pendant la crise de 1930 à 1940, les piastres qui finançaient si bien le pays de 1925 à 1929?

Où naissent et où meurent les piastres?

Posez ces questions, et dites combien d'hommes peuvent vous répondre.

Ce n'est ni le bon Dieu ni la température qui font les piastres. Et les piastres ne se font pas toutes seules? Qui est-ce qui les fait? Qui est-ce qui a su en faire autant qu'il en a fallu pour tenir la guerre? Et pourquoi ceux qui ont fait les piastres pour conduire la guerre n'en faisaient-ils pas auparavant pour régler la crise?

Deux sortes d'argent

Pour bien comprendre où commence et où finit l'argent, il faut distinguer entre deux sortes d'argent, deux sortes aussi bonnes l'une que l'autre: l'argent de métal ou de papier et l'argent de comptabilité.

L'argent de métal ou de papier, c'est l'argent de poche, dont les petites gens se servent tous les jours.

Les gros industriels, les gros commerçants, eux, se servent bien davantage de l'argent de comptabilité. Pour se servir d'argent de comptabilité, il suffit d'avoir un compte à la banque.

Supposons que j'ai un compte de banque avec 2 000 $ à mon crédit. J'achète une laveuse électrique chez Dupuis Frères. Elle coûte 600 $. Je la paie au moyen d'un chèque de 600 $ sur mon compte de banque. Que va-t-il arriver?

Je recevrai la laveuse. La maison Dupuis déposera mon chèque à sa propre banque. Le banquier augmentera de 600 $ le crédit du compte de Dupuis. La banque de Dupuis enverra ensuite le chèque à ma propre banque. Le banquier diminuera de 600 $ le crédit de mon compte. Et c'est tout. Pas une piastre n'aura quitté une poche ou un tiroir. Un compte aura augmenté, celui du marchand; un autre aura diminué, le mien. J'ai payé avec de l'argent de comptabilité.

L'argent de comptabilité, ce sont les crédits dans des comptes de banque.

Cet argent-là solde les 90 pour cent des transactions commerciales. C'est le principal argent des pays civilisés, comme le nôtre.

Mieux que cela, c'est quand l'argent de comptabilité augmente que l'argent de poche augmente, et c'est quand l'argent de comptabilité dirninue que l'argent de poche diminue. Lorsque dix piastres de comptabilité entrent en circulation, une piastre d'argent de poche (métal ou papier) entre en circulation. Lorsque dix piastres d'argent de comptabilité disparaissent de la circulation, une piastre d'argent de poche disparaît de la circulation. C'est du moins la proportion courante.

C'est l'argent de comptabilité qui mène. C'est son niveau qui détermine le niveau de l'autre argent.

L'argent commence dans les banques

Chercher où commence et où finit l'argent, c'est donc chercher où commence et où finit l'argent de comptabilité.

L'argent de comptabilité, celui qui mène le tout, c'est un crédit dans un compte de banque.

Si des crédits dans les comptes de banque augmentent quand d'autres diminuent, c'est un simple déplacement d'argent de comptabilité. S'ils correspondent à des apports d'argent de métal ou de papier, c'est un changement d'argent de poche en argent de comptabilité. Mais si les crédits dans des comptes de banque sont augmentés sans rien diminuer ailleurs, c'est de l'argent de comptabilité nouveau, qui augmente le volume total de l'argent disponible.

Lorsque, comme épargnant, je dépose 100 $ à la banque, la banque m'inscrit un crédit de 100 $. Cela me fait 100 $ d'argent de comptabilité. Mais ce n'est pas de l'argent nouveau; c'est simplement de l'argent passé de ma poche à la banque, ou bien du compte de celui qui m'a donné un chèque à mon propre compte. Ce n'est pas une naissance d'argent, c'est une simple épargne.

Mais, si au lieu d'apporter de l'épargne à la banque, je viens à la banque pour emprunter une grosse somme d'argent, disons 100 000 $, pour agrandir mon usine, qu'arrive-t-il?

Le gérant de la banque me fait signer des billets et des garanties, puis il me donne un chèque d'escompte que je vais déposer au guichet du caissier. Le caisser prend son grand-livre (ledger) et inscrit simplement 100 000 $ à mon crédit. Il inscrit le même crédit dans mon carnet de banque (pass-book).

Je sors de la banque sans emporter d'argent sur moi, mais j'ai à mon crédit 100 000 $ d'argent de comptabilité que je n'avais pas en entrant. Cela me permet de payer, au moyen de chèques, des machines, du matériel, des ouvriers, jusqu'à un montant de 100 000 $.

D'autre part, aucun autre compte n'a été diminué dans la banque pour cela. Pas un sou n'a été déplacé, soit d'un tiroir, soit d'une poche, soit d'un compte. J'ai 100 000 $ de plus, mais personne n'a un sou de moins.

Ces 100 000 $ n'étaient nulle part il y a une heure, et les voici maintenant à mon crédit, dans mon compte de banque.

D'où vient donc cet argent? C'est de l'argent nouveau, qui n'existait pas quand je suis entré dans la banque, qui n'était dans la poche ni dans le compte de personne, mais qui existe maintenant dans mon compte.

Le banquier a bel et bien créé 100 000 $ d'argent nouveau, sous forme de crédit, sous forme d'argent de comptabilité: argent scriptural, aussi bon que l'autre.

Le banquier n'est pas effrayé de cela. Mes chèques vont donner à ceux pour qui je les fais le droit de tirer de l'argent de la banque. Mais le banquier sait bien que les neuf-dixièmes de ces chèques auront simplement pour effet de faire diminuer mon compte et augmenter le compte d'autres personnes. Il sait bien qu'il lui suffit d'une piastre sur dix pour répondre aux demandes de ceux qui veulent de l'argent en poche. Il sait bien que s'il a 10 000 $ en réserves liquides, il peut prêter 100 000 $ (dix fois autant) en argent de comptabilité.

Note: Le paragraphe qui précède a été écrit en 1946. La proportion d'une piastre sur dix a augmenté depuis. En 1967, la Loi canadienne des Banques permettait aux banques à charte de créer seize fois le montant de leurs réserves en numéraire (billets de banque et pièces de monnaie). Depuis 1980, les banques devaient détenir une réserve minimale de 5% en argent liquide, ce qui leur donnaient le droit de créer vingt fois ce montant.

En pratique, les banques peuvent prêter beaucoup plus que cela, car elles peuvent augmenter leurs réserves en numéraire (billets de banque) à volonté en achetant ces réserves de la banque centrale (Banque du Canada) avec l'argent de comptabilité qu'elles ont créé. Ainsi, il a été établi en 1982, devant un Comité d'enquête de la Chambre des Communes sur les profits des banques, qu'en 1981, les banques à charte canadiennes dans leur ensemble avaient prêté 32 fois leur capital. En 1990, aux Etats-Unis, le total des dépôts dans les banques commerciales s'élevait à 3 000 milliards $, tandis que leurs réserves en argent liquide s'élevait à 60 milliards $ seulement, soit cinquante fois moins.

En décembre 1991, le Parlement canadien adoptait la plus récente version de la Loi sur les banques (qui est renouvelée environ tous les dix ans), qui stipulait qu'à partir de janvier 1994, le pourcentage d'argent liquide que les banques doivent posséder passait à zéro pour cent! Ainsi, pour le troisième trimestre de 1995, les banques canadiennes avaient prêté plus de soixante-dix fois leurs réserves: pour 3,1 milliards de dollars en billets de banque et pièces de monnaie, le total des prêts non-hypothécaires, pour la même période, était de 216 milliards $, soit soixante-dix fois le montant d'argent liquide existant dans le pays! (Et en 1997, ce chiffre monte à 100 fois.)

En d'autres mots, il n'y a plus aucune limite prescrite par la loi. La seule limite à la création d'argent par les banques, c'est le fait que des individus désirent encore être payés avec du papier-monnaie. Alors, on comprend que les banques vont faire tout leur possible pour éliminer tout simplement l'usage de papier-monnaie, en encourageant l'utilisation des cartes de débit, paiement direct, etc., pour en venir finalement à l'élimination complète de l'argent liquide. Elles prêcheront l'existence d'une seule forme d'argent, l'argent électronique: l'argent ne sera plus du papier-monnaie,mais un simple signal, ou unité d'information, dans un ordinateur.

L'augmentation du niveau d'argent

Lorsque c'est le gouvernement qui emprunte des banques, l'opération se passe de la même manière. Les montants sont beaucoup plus forts parce que c'est toute la richesse du pays, tout le pouvoir de taxer qui est alors signé en gages au banquier, sous forme d'obligations (débentures).

Lorsque la guerre a éclaté en 1939, le gouvernement, qui manquait toujours d'argent depuis dix années, est allé aux banques, effectuer un premier emprunt de 200 millions. Les banques n'avaient pas plus d'argent que la veille. Depuis dix ans, le monde manquait d'argent. Quand on manque d'argent, on n'a guère de surplus pour en apporter aux banques.

Pourtant, les banques ont prêté 200 millions au gouvernement. Elles ont inscrit à son crédit 200 millions d'argent de comptabilité. Et les jeunes gens, qui battaient le pavé depuis des années parce qu'il n'y avait pas d'argent, ont pu immédiatement être appelés par le gouvernement, habillés des pieds à la tête, logés, nourris, équipés et transportés en Europe pour prendre part à la tuerie.

Et l'on a vu cela dans tous les pays du monde. Le monde chômait depuis dix ans, faute d'argent. Ce même monde a pu se battre, dans une guerre fort dispendieuse, parce que les banques ont créé tout l'argent de comptabilité qu'il a fallu pour financer la guerre.

Les banques du Canada ont ainsi fait pendant la guerre au moins 3 000 millions de dollars d'argent nouveau, pour financer la part canadienne de la boucherie universelle.

L'argent est facile à faire, puisqu'il suffit d'une plume de banquier. Et pourtant, avant la guerre, le monde fut mis en pénitence pendant dix années, faute d'argent, et aucun gouvernement ne commandait à la plume de fonctionner.

La mort de l'argent

Mais cet argent de comptabilité, fait par les banques, est fait sous conditions. Il devra être rapporté dans un temps déterminé, et d'autre argent avec lui, sous forme d'intérêt.

Ainsi, un million prêté à 10 pour cent pour vingt ans, oblige le gouvernement qui l'emprunte à rapporter 3 millions d'ici vingt ans, un million pour le capital et deux millions pour l'intérêt.

Comme le gouvernement, lui, ne crée pas d'argent, et comme il ne peut pomper du public plus d'argent qu'il n'y a été mis, il n'est jamais capable de rapporter au banquier plus d'argent que le banquier n'en a fait. Plus le gouvernement essaie de satisfaire à ses obligations, plus il crée de disette d'argent dans le pays. Il faut même qu'il emprunte d'autres sommes pour pouvoir rapporter indéfiniment des intérêts sur les capitaux ainsi créés par les banques.

C'est pour cela que les dettes publiques montent toujours, que les intérêts sur ces dettes sont de plus en plus gros et les taxes pour les payer de plus en plus lourdes.

Quant aux particuliers qui empruntent ainsi des banques, ils doivent ou rembourser avec intérêts ou faire banqueroute. Si les uns réussissent, c'est en extrayant autour d'eux, par la vente de leurs produits à prix élevés, plus d'argent qu'ils y ont mis. Le succès des uns fait nécessairement la faillite des autres, dans un système où l'argent commence sous forme de dette chargée d'intérêt.

Lorsque l'argent rentre à la banque, les neuf-dixièmes y rentrent sous forme de crédit et sont simplement cancellés; cet argent cesse d'exister. La banque est à la fois le berceau et le cercueil de l'argent. C'est une fabrique d'argent et c'est un abattoir de l'argent.

Quand les remboursements sont exigés plus vite que les nouveaux prêts, l'abattoir fonctionne plus vite que la fabrique, et cela fait une crise. Ce fut l'origine de la crise de 1930 à 1940.

Quand les prêts sont plus généreux et plus fréquents que les remboursements, la fabrique marche plus vite que l'abattoir, et cela fait une abondance d'argent. C'est ce qu'on a eu pendant la guerre: l'argent était plus abondant que les produits.

On voit que le niveau de l'argent dépend de l'action des banques. Et l'action des banques ne dépend pas du tout de la production ni des besoins.

Une dictature néfaste

Dans un monde où l'on ne peut vivre sans argent, on comprend que le système qui donne ainsi à des intérêts privés — les banques — le pouvoir de régler à leur guise le niveau de l'argent, ce système-là met le monde à la merci des faiseurs et destructeurs d'argent.

Ceux qui contrôlent l'argent et le crédit sont devenus les maîtres de nos vies, et sans leur permission, nul ne peut plus respirer. C'est la remarque du Pape Pie XI.

Soulignons aussi un point frappant:

C'est la production qui donne de la valeur à l'argent. Une pile d'argent, sans produits pour y répondre, ne fait pas vivre. Or, ce sont les cultivateurs, les industriels, les ouvriers, les professionnels, le pays organisé, qui font les produits, marchandises ou services. Mais ce sont les banquiers qui font l'argent basé sur ces produits. Et cet argent, qui tire sa valeur des produits, les banquiers se l'approprient et le prêtent à ceux qui font les produits. C'est un vol légalisé.

Par Louis Évan

Sous le signe de l'abondance - Chapitre 7 — Le signe et la chose

Chapitre 7 — Le signe et la chose

 Mieux que toute autre, l'école créditiste sait faire la distinction entre richesse et monnaie. Si, dans ses études, elle donne tant d'importance à l'argent, c'est parce que l'argent est la condition rendue nécessaire aujourd'hui pour avoir accès à la richesse.

 En temps normal, lorsque la guerre n'a pas introduit la destruction en gros, le monde civilisé regorge de richesses. Les magasins ne se plaignent jamais alors de ne pas pouvoir trouver ce qu'il faut pour remplacer les stocks vendus. Les élévateurs sont pleins à craquer. Des bras valides s'offrent plus nombreux qu'on ne peut les employer.

 Les pays civilisés ont tellement de produits qu'ils cherchent partout, en dehors de leurs frontières, où les écouler. On favorise par tous les moyens les exportations et on barre la route aux importations, pour ne pas être encombré de produits.

 Le Canada est dans ce cas. Le Canada est un pays débordant de richesses et capable d'en produire bien davantage.

 Mais à quoi sert de dire aux Canadiens et aux Canadiennes que leur pays est riche, qu'il exporte beaucoup de produits, qu'il est le troisième ou le quatrième pays au monde pour l'exportation?

 Ce qui sort du pays n'entre pas dans les maisons des Canadiens. Ce qui reste dans les magasins ne vient pas sur la table.

 La femme ne nourrit pas et n'habille pas ses enfants en contemplant les vitrines, en lisant les annonces de produits dans les journaux, en entendant la description de beaux produits à la radio, en écoutant les boniments des innombrables agents de vente de toutes sortes.

 C'est le titre à ces produits qui manque. On ne peut pas les voler. Pour les obtenir, il faut payer, il faut avoir l'argent.

 Il y a beaucoup de bonnes choses au Canada; mais lorsque le droit à ces choses fait défaut entre les mains des Canadiens, lorsqu'ils n'ont pas d'argent, à quoi sert l'étalage de toutes ces richesses?

 Cela ne veut pas dire que l'argent soit la richesse. L'argent n'est pas le bien terrestre capable de satisfaire le besoin temporel.

 On ne se nourrit pas en mangeant de l'argent. Pour s'habiller, on ne coud pas ensemble des piastres pour s'en faire une robe ou des bas. On ne se repose pas en s'étendant sur de l'argent. On ne se guérit pas en plaçant de l'argent sur le siège du mal. On ne s'instruit pas en se couronnant la tête d'argent.

 — Non. L'argent n'est pas la richesse. La richesse, ce sont les choses utiles qui correspondent à des besoins humains.

 Le pain, la viande, le poisson, le coton, le bois, le charbon, une auto sur une bonne route, la visite d'un médecin au malade, la science du professeur — voilà des richesses.

Mais, dans notre monde moderne, chaque personne ne fait pas toutes les choses. Il faut acheter les uns des autres. L'argent est le signe qu'on reçoit en échange d'une chose qu'on vend; c'est le signe qu'il faut passer pour avoir une chose offerte par autrui.

 Le signe en fonction de la chose

 La richesse est la chose; l'argent est le signe. En toute logique, le signe doit aller d'après la chose.

 S'il y a beaucoup de choses à vendre dans un pays, il y faut beaucoup d'argent pour en disposer. Plus il y a de monde et de choses, plus il faut d'argent en circulation, ou bien tout arrête.

 C'est cet équilibre-là qui fait généralement défaut. Les choses, on en a à peu près autant qu'on veut en faire, grâce à la science appliquée, aux découvertes, aux machines perfectionnées. On a même des gens réduits au chômage forcé, ce qui représente des choses possibles. On a un tas d'occupations inutiles, nuisibles même. Beaucoup d'activités sont employées à la destruction.

 Pourquoi l'argent, établi pour écouler les produits, n'est-il pas toujours dans les mains des consommateurs en rapport avec ces produits faits pour eux?

 Pourquoi? Parce que les produits viennent d'une source et l'argent vient d'une autre source. La première fonctionne bien, la deuxième fonctionne mal.

 La source des produits, ce sont les richesses naturelles dont la Providence a gratifié la planète; c'est la science appliquée; c'est le travail des producteurs. Et tout cela fournit des produits en abondance.

 La source de l'argent est ailleurs. L'argent ne vient ni de la Providence, ni de la science, ni des sillons du cultivateur, ni du filet du pêcheur, ni des coups de hache du bûcheron, ni de l'habileté de l'ouvrier.

 Et la source de l'argent ne marche pas en parallèle avec la source des produits, puisque l'argent manquait avant la guerre en face d'une abondance de produits à vendre, et puisque l'argent est venu durant la guerre en face de magasins manquant de produits.

 Les produits viennent par la production, et ils disparaissent par la consommation.

 L'argent, lui aussi, vient et disparaît, puisqu'on le voit tantôt abondant, tantôt rare. L'argent naît et meurt.

 Par Louis Évan


Sous le signe de l'abondance - Chapitre 6 — Pauvreté

 Chapitre 6 — Pauvreté

 

L'abondance introduite dans le monde depuis que l'homme a trouvé moyen de transformer l'énergie et d'atteler à son service les forces de la nature, devrait se réfléchir en sécurité économique pour tous, en confort au moins modeste dans tous les foyers, en une ère de bonnes relations sociales entre individus et nations, dans la joie et dans la paix.

Tout autre, hélas! est le tableau qui frappe les yeux dans tous les pays du monde civilisé.

Face à l'abondance qui s'accumule, sauf quand on la détruit en temps de guerre, s'étale la misère la plus dégradante.

Élévateurs et entrepôts regorgent; vitrines, journaux, radio et agents proclament partout les produits les plus divers. Et pendant ce temps-là, dans les maisons, on se prive de nourriture, on fait durer les guenilles et les vieux meubles.

«Quel pourcentage de notre population ne fait qu'exister, au lieu de mettre à profit la richesse disponible et suffisante pour vivre dans un confort raisonnable?» (Rév. Charles E. Coughlin, Money, p. 26.)

Mais des citations sont à peine nécessaires. La plupart des lecteurs n'ont qu'à examiner leur cas personnel et celui de leurs voisins. Qui donc est aujourd'hui assuré du lendemain?

Personne ne doute que, demain, le Canada puisse continuer à fournir abondamment ce qu'il faut en fait de nourriture, de vêtement et de logement. Non; mais combien sont sûrs d'en avoir une part suffisante pour eux et leur famille, demain, après-demain, l'an prochain?

Le chiffre des chômeurs, des hommes et des établissements mis en congé devrait, logiquement, indiquer une surabondance de biens, la saturation de la consommation. Il exprime surtout des souffrances, du dénuement, du désespoir.

Les biens sont là, les besoins en face. Pourquoi les biens ne viennent-ils pas combler les besoins? Qu'est-ce qui empêche donc l'économie d'atteindre sa fin?

Pourquoi les consommateurs qui ont tant de besoins non satisfaits ne tirent-ils pas sur ces biens préparés pour eux?

L'existence de la pauvreté généralisée, en face de tant de production et d'une énorme capacité de production non utilisée, est une terrible accusation contre l'organisme de distribution.

Jamais l'offre ne fut si abondante. En face de l'offre, n'existe-t-il donc pas une demande?

La demande existe. Mais le titre qui lui donne accès à l'offre fait défaut; ce titre, c'est l'argent.

Demande réelle, demande efficace

Il convient, en effet, de distinguer entre demande réelle et demande efficace.

La demande réelle est celle qui découle de besoins réels. Tant qu'il y a des gens qui ont faim, il existe une demande réelle pour de la nourriture. Tant qu'il y a des gens sans abri convenable, il existe une demande réelle de logement. Tant qu'il y a des malades, il existe une demande réelle de remèdes et de soins médicaux.

Mais cette demande réelle ne devient efficace que si elle présente le titre à la production, l'argent.

La demande efficace existe seulement là où l'argent est uni au besoin.

Sous le régime économique actuel, en temps normal, on constate beaucoup de demandes réelles dépourvues du titre qui les rendrait efficaces. La production, obligée de récupérer ses frais, cherche les endroits où il reste encore un peu d'argent et met tout en œuvre pour y susciter une demande. C'est la pression de vente, qui ne répond plus à l'appel du consommateur, mais à l'appel du producteur.

C'est le renversement de l'ordre économique. Le consommateur devient l'instrument à exploiter, non plus le maître à servir.

La solution humaine serait de faire venir l'argent là où est le besoin, non pas de faire naître le besoin là où est l'argent. Rendre efficace la demande réelle, et non pas créer des besoins artificiels là où n'existe pas de demande réelle.

Pour réconcilier la demande réelle et la capacité de payer, remarque le major Douglas, il faudra renverser la poursuite du pouvoir et la remplacer par la poursuite de la liberté, et cela implique une modification du syste de distribution (Economic Democracy, p. 88).

Il ajoute, avec une juste conception de la fin de l'économie:

«S'il reste encore un peu de bon sens dans le monde, on admettra que la demande réelle est l'objectif propre de la production, et que cette demande réelle doit être satisfaite, en commençant par le bas. C'est-à-dire qu'il faut, premièrement, produire en quantité suffisante ce qui répond aux besoins communs à tous; en second lieu, instituer un système économique qui assure la distribution universelle et pratiquement automatique de ces biens faits pour tous. Ceci achevé, on peut songer, jusqu'à la limite jugée désirable, à la production d'articles ayant un champ d'utilité plus restreint. Toute difficulté financière est hors du sujet. Si la finance ne peut s'ajuster à cette simple proposition, la finance a failli et doit être remplacée.»

Puisque la production existe pour la satisfaction des besoins du consommateur, et puisque, d'après les règlements généralement reçus, le consommateur doit présenter l'argent pour pouvoir tirer sur la production, l'argent doit être entre les mains du consommateur en rapport avec ses besoins conjugués avec la capacité productive du pays. S'il n'en est pas ainsi, l'argent travaille contre le consommateur, donc contre l'homme. Un changement s'impose.

C'est parce que l'argent entrave la satisfaction du consommateur qu'une certaine école propose l'abolition de l'argent. Le gouvernement s'emparerait de toute la production non consommée par ses auteurs et il la répartirait lui-même à tous les membres de la communauté.

C'est la solution communiste, dont personne ne veut chez nous.

On ne peut pourtant pas approuver l'immobilisation des produits et de la production en face de besoins criants.

Nous ne nous arrêterons pas à la solution dictatoriale, dans laquelle ce n'est plus le consommateur qui exprime ses besoins: un surhomme dicte à chacun ce qu'il doit avoir et à la production ce qu'elle doit faire. Il arrive alors que les canons peuvent pousser aux dépens du pain.

Il y a une autre solution — la solution qui, en plaçant l'argent entre les mains du consommateur, de TOUS les consommateurs, conférer au consommateur, à TOUS les consommateurs, le droit de vote sur les produits. Le consommateur alors oriente réellement la production. C'est la solution du Crédit Social. Elle a permis à un sociologue d'écrire:

«Si vous ne voulez ni du socialisme ni du communisme, opposez-leur le Crédit Social.» (R.P. G.-H. Lévesque, o.p.)

Mais il faut étudier cette question de l'argent, pour comprendre où pêche le système monétaire et comment le faire fonctionner et accomplir son rôle.

Par Louis Évan

Sous le signe de l'abondance - Chapitre 5 - La spécialisation - La machine

Chapitre 5 - La spécialisation - La machine

 A mesure que la production progresse, le producteur se spécialise. Cette spécialisation est elle-même facteur d'une plus grande production totale, avec moins d'efforts pour chacun.

 Depuis longtemps déjà, des hommes cultivent la terre, pendant que d'autres fabriquent des étoffes, que d'autres s'emploient au transport, d'autres à des services de diverses sortes.

 Mais la spécialisation s'accentue, même sur les fermes, et surtout dans l'industrie. Des travailleurs ne font plus qu'une parcelle, toujours la même parcelle, du produit fini.

 Au point de vue rendement, cette division du travail est certainement avantageuse, mais elle nécessite, pour la satisfaction des besoins des consommateurs, beaucoup plus de recours à l'échange. Parallèlement au développement de la division du travail, de la spécialisation, il faut donc un développement de souplesse dans le mécanisme des échanges.

 La division du travail a favorisé l'invention de la machine. En effet, plus la division est poussée, plus uniformément répété, plus automatique devient le mouvement de l'ouvrier qui exécute sa toute petite partie du tout. De là à remplacer la main humaine par la main mécanique, il n'y a qu'un pas.

 L'introduction de la machine contribue à augmenter la production, tout en diminuant le travail de l'homme.

 La division du travail et l'introduction de la machine sont en parfait accord avec le principe déterminant de la vie économique dans le domaine de la production: le maximum d'effet avec le minimum d'effort.

 Mais cette division du travail et cette introduction de la machine posent des problèmes qu'on n'a pas encore su résoudre.

 Si la division du travail a pour résultat d'abréger, presque de supprimer, le temps nécessaire à l'apprentissage, elle a pour inconvénient de transformer le travail en une véritable besogne. Quoi d'ennuyant et d'abrutissant comme de répéter heure après heure, jour après jour, le même mouvement, le même geste, sans avoir la satisfaction de réfléchir, de combiner, d'appliquer son cerveau! C'est le cas dans bien des rayons. Les facultés créatrices de l'homme entrent de moins en moins dans le labeur quotidien de l'ouvrier; celui-ci n'est guère qu'un automate, prélude de la machine d'acier.

 Une formule remédiatrice serait la réduction des heures d'ouvrage au strict minimum, pour laisser à cet ouvrier des loisirs pendant lesquels il pourra à son gré exercer ses facultés, redevenir un homme. L'autre est de hâter l'avènement de la machine qui fera, à la place de l'ouvrier, le mouvement uniforme qui n'est déjà plus un travail d'homme proprement dit.

 Mais, avec les règlements économiques actuels, qui exigent la participation personnelle à la production pour obtenir un titre à la production, on devine de quoi s'accompagne la libération de l'ouvrier. Les loisirs s'appellent chômage, l'homme libéré est un crève-faim.

 Les machines, assure-t-on, ne déplacent pas la main-d’œuvre de façon durable, parce que de nouvelles occupations, créées par de nouveaux besoins, offrent aux sans-emploi un débouché nouveau, au moins jusqu'à ce que là aussi la machine vienne le chasser un jour. Tout de même, ces dérangements, ces expropriations continuelles du travail de l'ouvrier, désorganisent de plus en plus sa vie, bannissent toute sécurité, empêchent de fonder sur l'avenir, forcent la multiplication des interventions d'État, conduisent à l'enrégimentation.

 Faut-il donc approuver les oppositions qu'on a toujours remarquées à l'avènement de presque toute machine nouvelle? Pas du tout. Mais il faut adapter le système de distribution des biens.

 Puisque les machines augmentent les biens au lieu de les diminuer, la production mécanique ne devrait qu'augmenter l'abondance dans les foyers. même si le travail personnel de l'homme dans la production diminue. Et cela devrait se faire sans heurts, sans bouleversements, sans enrégimentation. C'est possible, à la condition qu'on dissocie, au degré voulu, le droit à la production de la contribution personnelle à la production.

 C'est, on le verra plus loin, ce dont se croit capable le Crédit Social, en introduisant dans la distribution le régime des dividendes à TOUS et à CHACUN, dans la mesure où le salariat reste impuissant à disposer des biens.

 Avec la production de plus en plus spécialisée et de plus en plus mécanisée, chaque producteur, homme ou machine, fournit, dans la ligne de son emploi, une quantité de plus en plus considérable de biens qu'il n'utilise pas lui-même.

 Or, tout ce qu'un producteur fournit au-dessus de ses besoins personnels est pour le reste de la communauté. Ainsi, toute la production d'un cultivateur, au-dessus des besoins de sa famille, est nécessairement pour le reste de la communauté. Toute la production d'un forgeron, hormis ce qui est pour l'usage de sa famille, n'est destinée qu'à d'autres dans la communauté.

 Les machines, elles, ne consomment rien de ce qu'elles produisent. Leur immense production vient donc grossir ces surplus qui, de quelque façon, doivent atteindre les consommateurs pour que la production accomplisse sa fin.

 On y mettra les règlements appropriés que l'on voudra pour que nul ne soit lésé. Il faudra tout de même que, de quelque manière, les consommateurs puissent tirer sur cette abondante production qui dépasse les besoins particuliers des producteurs qui l'ont mise au monde. Et plus abondante est cette production non absorbée par ses auteurs, plus large doit être le canal de son écoulement, plus généreux les titres qui y donnent droit. 

Par LouisÉvan

03 mars, 2009

Sous le Signe de l'Abondance - Chapitre 4 - Les biens

Les biens existent-ils? Existent-ils en quantité suffisante pour satisfaire tous les besoins premiers des consommateurs?

 L'humanité a passé par des périodes de disette; des famines couvraient de grands pays et l'on manquait des moyens de transport appropriés pour amener vers ces pays les richesses d'autres sections de la planète.

Ce n'est plus le cas aujourd'hui. L'abondance nous déborde. C'est elle — non plus la rareté — qui crée le problème.

Il n'est nullement besoin d'entrer dans les détails pour démontrer ce fait. Nullement besoin de citer les cas de destruction volontaire, sur grande échelle, pour «assainir les marchés» en faisant disparaître les stocks.

 L'exemple de deux grandes guerres prouve suffisamment le point.

 De 1914 à 1918 et de 1939 à 1945, des millions d'êtres humains, dans la force de l'âge, les plus capables de produire, furent détournés de la production de choses utiles et employés à la destruction. Des industries, des machines puissantes subirent le même sort. Et malgré cela, l'humanité avait encore devant elle le nécessaire pour vivre.

Les famines ne sont plus que des famines artificielles, voulues par des hommes. Il faut des champs de mines, des sous-marins, des torpilles, des blocus organisés par la force, pour empêcher l'abondance de déborder sur tous les pays.

 Lorsqu'on envisage les problèmes d'après-guerre, on ne se demande jamais où l'on va trouver du blé demain, où des matériaux et des ouvriers. Tout autre est la question qui désempare les hommes d'État et tous les sociologues: Que fera-t-on de tous ces bras, de toutes ces machines, de toutes ces inventions productrices que la fin de la guerre remettra en disponibilité?

 Si, entre les deux guerres, tous les foyers n'ont pas joui de l'abondance, ce n'est certainement pas par défaut de biens ou de capacité de produire des biens. C'est uniquement parce que les consommateurs n'avaient pas le moyen de commander la production.

 La production active était loin d'être orientée selon les besoins réels des hommes et des femmes du pays. C'était surtout une production calculée en vue de profits, souvent sans aucune utilité pour l'homme et la femme ordinaires, nuisible même en certains cas.

Une foule d'occupations parasitaires, d'agences, d'activités de réclame, nées justement de l'impuissance du consommateur à exprimer efficacement ses désirs, auraient pu être utilement employés à servir des consommateurs capables d'exprimer leurs désirs.

Sans sortir de notre pays, nous pouvons affirmer hautement qu'il n'existe aucun obstacle d'ordre matériel ou technique à la satisfaction des besoins honnêtes de TOUS les consommateurs.

 Deux sortes de biens.

 Il est utile, pour saisir maints problèmes de prix et de pouvoir d'achat, de distinguer entre deux sortes de biens.

 D'une part, il y a les biens qui servent à soutenir ou à embellir la vie. Ces biens sont offerts directement aux consommateurs pour leur usage. Aussi les appelle-t-on biens de consommation.

Les aliments, les vêtements, le combustible, les denrées qu'on trouve sur le marché, les services du médecin, sont des biens de consommation.

 D'autre part, il y a des biens qui ne sont point mis en vente pour le public, qui sont gardés par les producteurs justement pour produire les biens de consommation. Ainsi, une usine n'est pas un bien de consommation. C'est un bien tout de même puisqu'elle sert à produire des biens de consommation. Les machines pour faire des livres, pour fabriquer des chaussures, ou des vêtements, pour transporter la marchandise, sont dans le même cas.

 Ces usines, ces machines, ces moyens de transport, ces biens qu'on n'achète pas, mais qui servent à produire les autres biens, s'appellent biens de capital. C'est en effet le capital réel du producteur. La ferme est un bien de capital. C'est le capital du cultivateur.

 Parfois aussi, on dit biens de production, parce que ce sont des biens qui servent à la production. Pour ne pas diviser à l'excès, nous adopterons le terme biens de capital, parce qu'il comprend aussi certains biens qui ne servent pas directement à la production, tels que les routes, les monuments publics, les armements.

 Pour fixer cette distinction, en même temps que pour montrer à quoi elle peut servir, donnons un exemple de la manière différente dont se comportent ces deux sortes de biens vis-à-vis du niveau de vie des consommateurs, au moins sous le régime actuel.

 On sait que, pour acheter les produits qui sont sur le marché, il faut de l'argent. L'argent est surtout obtenu par des salaires. Les salaires sont distribués aux employés, qu'ils travaillent à produire des biens de capital ou des biens de consommation.

 Un homme produit des biens vendables, disons des chaussures. Avec son salaire, il peut acheter des chaussures, mais jamais toutes les chaussures qu'il fait. Un autre travaille dans une usine de guerre. Avec son salaire, il n'achète ni obus ni mitrailleuse, mais des choses vendables, telles que les chaussures. Les deux salaires combinés ont plus de chance d'écouler la production du premier salarié.

 Ce qui veut dire que les salaires obtenus pour la production de biens de capital s'ajoutent aux salaires obtenus pour la production de biens de consommation — ce qui permet plus facilement d'écouler les biens de consommation, les seuls mis en vente.

C'est pour cela que les développements industriels entraînant des constructions nouvelles, ou la guerre entraînant la fabrication d'armements, apportent une espèce de prospérité en permettant d'acheter des choses qui autrement seraient immobilisées en face du manque d'argent. De là le dicton populaire: Quand le bâtiment marche, tout marche. De là cette réflexion qui pourrait paraître cynique mais qui exprime tout de même un fait courant: Une bonne guerre ramènerait la prospérité (par l'emploi).

 De ce fait, la guerre est encore plus efficace que le bâtiment. S'il s'agit, en effet, d'un développement industriel ordinaire, l'usine, une fois terminée, jette sur le marché des produits qui doivent récupérer les frais de l'usine; le problème du manque de pouvoir d'achat n'en devient que plus aigu. La guerre, elle, les usines de guerre, ne placent aucun produit sur le marché, elles détruisent même, elles restreignent la production de biens utiles, en accaparant les bras et les machines, et cela tout en continuant de distribuer des salaires à ceux qui ne travaillent que pour la destruction.

Par Louis Évan